Depuis que j’ai créé mon entreprise en mai 2018, j’ai donné de ma personne au maximum que je le pouvais. J’ai appris sur le tas à m’organiser, me responsabiliser, avoir la tête absolument partout, bref, à devenir une cheffe d’entreprise plus qu’une photographe (parce que s’il n’y avait que cette partie-là, mamma quel bonheur ce serait !). Loin d’être un exemple sur tous ces points, j’ai nagé, franchi des obstacles malgré tout, et j’ai même eu un moment de flottement, de légèreté, durant lequel j’ai passé ma meilleure année en tant qu’indépendante.
Puis bon, à force de donner de la tête de partout, de laisser de côté tout ce que je n’avais pas le temps de faire (souffler, voir mes potes, ma famille, prendre un peu plus soin de moi), ça a commencé à devenir une autre paire de manches. Je me faisais rouler dessus, complètement, par l’emballement de mon entreprise. La locomotive était lancée à toute vitesse, et moi j’étais là à essayer de faire mes lacets assise sur les rails. J’ai d’abord juste pris du retard par-ci par-là, puis j’ai carrément arrêté de répondre aux messages parce que j’avais trop honte de répondre 3 mois après.
Si l’engouement avait été la seule chose à gérer, je crois que j’aurais pu. Déjà, avoir beaucoup de demandes dans une entreprise, c’est plutôt le graal, et j’en remercie les personnes qui aiment mon travail autant que je le peux depuis le début. Quand on sait se gérer, il suffit de dire non à certaines demandes, même si ça pince le coeur et on avance. Sauf qu’à ce moment-là, la situation économique pour un indépendant en France devenait tellement compliquée (vous vous souvenez du plein d’essence à plus de 90€ quand on fait des kilomètres absolument tous les jours ?), si étouffante, que je ne pouvais dire non à personne. Chaque centime comptait pour rester dans mes frais. Chaque centime comptait si je voulais me payer un billet pour être dans le train au lieu de sur les rails.
À accepter absolument toutes les demandes possibles et imaginables, déjà je me suis confrontée à plein de moments pas du tout inspirants qui me démoralisaient à chaque fois que je quittais la maison, mais par dessus tout, je m’épuisais à la tâche à faire des semaines de 60 heures alors que soyons réalistes, je sauve pas des vies, je prends juste des gens en photo. Ça fait bébé ouin-ouin peut-être pour certain.es, mais j’aime à me rappeler que chaque être humain porte son lot, et que son endurance s’en trouve forcément différente de celle des autres.
Au delà d’un quotidien personnel ultra dense et usant, faire face à une entreprise qui n’a pas de meilleurs freins que mes propres pieds, c’est difficile. Si difficile que voilà, aujourd’hui j’arrive à un point où malgré l’amour que je garde au fond de moi pour mon métier, l’amour que je garde d’immortaliser des moments aussi précieux depuis toutes ces années, je suis avachie. Avachie par le trop plein qui a fini par me déchirer une jambe en plein mariage l’an dernier, avachie par le trou béant de trésorerie qui s’est créé avec l’arrêt obligatoire de plusieurs mois, avachie par les frais qui ne pouvaient plus être payés, les relances et les mises en demeure qui ont suivies. Enfin, avachie par le besoin de redoubler de courage pour reprendre le boulot comme si de rien n’était, déborder d’énergie à chaque séance, chaque mariage, pour au final être de nouveau sans jambes, à écrire ça depuis mon canapé la veille d’un mariage sur lequel j’ai dû me faire remplacer.
Je crois que j’écris tout ça parce que j’ai envie de dire les choses comme elles sont vraiment. Loin des paillettes dans les yeux qu’on prend à longueur de journée sur les réseaux sociaux. Puis aussi peut-être pour essayer d’humaniser le peu de personnes qui n’ont pas compris ma situation depuis des mois, m’ont pris de haut, parlé comme si j’étais le service client d’un opérateur téléphonique, mis la pression, tout ça rappelons-le, uniquement pour des photos. J’ai conscience que ces mots pourrons faire fuir, here comes the weirdo, mais j’estime aussi que si je photographie et comprends vos émotions tout au long de l’année, c’est plus humain si ça va dans les deux sens.
Alors pour le moment, j’ai besoin de souffler, voir mes potes, ma famille, prendre un peu soin de moi, et je suis désoeuvrée d’avoir dû attendre d’être complètement écrasée pour réaliser que c’est ça, mon charbon.
Merci, mon charbon : mon amoureux, mes proches, mes clients fidèles, mes collègues, merci d’être toujours là, malgré tout ce que je traverse. Je vous aime profondément.
Restez humain, prenez soin de vous, et j’ai hâte de revenir avec plus de baume sur mon coeur dans quelques semaines.
xx,
Amandine